Les prévisions faites en 2015 lors de la révision de la stratégie nationale de lutte contre la corruption se confirment aujourd’hui : l’année 2020 a effectivement marqué une rupture par rapport aux années précédentes. Ainsi s’est-elle caractérisée par deux faits dominants : la crise et le sursaut.
A l’instar de tous les organes de l’Etat, l’agence anti-corruption malgache n’y a point échappé. Elle a subi de plein fouet les répercussions mondiales de deux phénomènes néfastes : l’inopinée pandémie du coronavirus et la séculaire vénalité. Et c’est à l’orée de cette imprévisible période de conjonction d’une double crise, vers la mi-janvier, que sa restructuration a été officiellement décidée suite à l’adoption du nouveau décret n°2020-013.
Défi relevé de la restructuration
La réforme du BIANCO se déployait sur trois domaines précis : le remodelage de ses organes constitutifs, la révision de ses procédures de travail et la refonte de son mode opératoire. Au regard de nombreux défis réputés coriaces depuis la création du Bureau, nul ici ne croyait que la temporalité lente imposée par le confinement sanitaire officiellement décrété au mois de mars ait plutôt raffermi la volonté tenace de diligenter un chantier inédit de rénovation suivant les normes prescrites et de l’aboutir à son terme sans incidence substantielle.
Malgré les vicissitudes de ce processus, le pari fut alors gagné. Les diverses problématiques récurrentes attachées au Bureau tout au long de sa tumultueuse trajectoire se dissipèrent. Sous l’égide d’un leadership transformationnel, la reconfiguration du Bureau se matérialisa bel et bien six mois après, en septembre, avec la réinstallation progressive des ressources humaines dans les fonctions prévues dans le nouvel organigramme ainsi que le redéploiement fonctionnel et géographique du personnel après les nominations. Le parachèvement du processus en octobre fut consacré par l’opérationnalisation d’un nouveau style de leadership de la lutte basé sur le mode opératoire « faire faire » dans les trois voies de déploiement de l’action anti-corruption, la digitalisation du système de gestion et de suivi de ses opérations et l’alignement de son mode de fonctionnement par rapport au régime du droit public suite aux itératives observations émises à propos de ses procédures de travail découlant de son statut sui generis d’antan (nivellement de la gestion des ressources par rapport au droit de la fonction publique, rapprochement des procédures financières par rapport au droit des finances publiques par le biais de la séparation des ordonnateurs et des comptables).
De la crise sanitaire …
Entretemps, de mars à septembre, l’action anti-corruption fut contrainte de s’effacer temporairement pour permettre à toute une série de judicieuses mesures d’exception de prendre en charge l’inattendue urgence sanitaire. Optimisée par une catégorie de délinquants qui s’en donnait à cœur de joie, cet amoindrissement de la vigilance fut alors perverti de sa finalité originelle. Cette crise avait néanmoins le mérite d’expliciter le véritable système de prédation qui somnolaient dans notre pays. Plus d’un craignaient que ce court laps de temps ait suffi à un mécanisme de capture de mettre les ressources publiques en coupes réglées.
… à la crise des valeurs éthiques
Avilissement du mode de gouvernance, dépravation des mœurs, profusion des manœuvres manipulatoires, essor de la vénalité… Autant de manifestations de la crise des valeurs dans un pays pourtant en quête de ses propres repères, soixante années après son indépendance !
Le foisonnement de la corruption et la banalisation de l’impunité qui s’ensuivit exacerbaient la défiance populaire à l’égard des symboles d’incarnation de l’autorité si bien que l’adhésion collective aux décisions régulatrices devînt aléatoire. Impactant l’existence collective, la culture de la vénalité réussit à s’implanter inexorablement dans les rapports sociaux malgaches. Face à une telle situation, les organes chargés de diligenter la lutte contre la corruption devinrent la victime expiatoire de tout un système bureaucratique ayant perdu ses références éthiques. Comment donner tort à un vulgum pecus ostracisé qui, dans sa candeur habituelle, vit en ces organes magnifiés l’unique panacée omnipotente apte à extirper un malaise social sédimentaire ? En fait, durant cette période de confinement de l’esprit, il lui fut bien difficile de se rendre à l’évidence et de distinguer avec exactitude la responsabilité des acteurs à l’égard de ce malaise, en raison des entreprises de mystification consistant à faire croire comme une réalité véridique les manœuvres manipulatoires et les joutes démagogiques auxquelles il eut régulièrement droit.
Vecteur de métamorphose, cette crise sanitaire véhiculait un mode de gouvernance singulier dans lequel, d’une part, la délinquance économico-financière s’était investie de façon plus insidieuse et dans lequel, d’autre part, l’impunité qui l’entretenait se ménageait de véritables zones d’emprise. Favorisée par un certain nombre d’adjuvants attachés aux fonctions (immunité, autorisation de poursuite…) et à la raison d’Etat (urgence d’intervenir, réquisition des moyens dictée par la situation d’exception…), cette délinquance impunie finit par infecter les plus nobles des sacerdoces humains, en l’occurrence la charge publique.
Du sursaut méthodologique …
Et c’est à ce moment précis que se firent alors bien sentir la nécessité et l’opportunité de rénover l’approche de cette lutte. Au nom du principe de la non exclusivité des compétences s’imposa l’utilité pratique d’associer et de responsabiliser les acteurs aptes à relayer l’appropriation des moyens de cette noble bataille de longue haleine. Dorénavant, le leadership de la lutte anti-corruption malgache prit la forme du « faire faire ».
Commandé expressément par la nouvelle loi régissant la lutte anti-corruption sans concrétisation formelle dans les faits depuis 2016, ce nouveau mode opératoire impulsé officiellement à la sortie de la période de confinement en septembre se justifiait par l’urgence d’une thérapie qui s’annonçait salutaire pour la Nation malgache. Au regard de l’état des mœurs publiques référé à l’aune de l’ambition nationale fréquemment idéalisée, la postérité malgache apparaissait difficilement envisageable en dehors de cette révolution méthodologique.
Aux prises avec une réalité mystifiée, l’agence anti-corruption, jalousement attachée tant à son indépendance organique qu’à son impartialité opérationnelle, s’est montrée plus lucide en désignant le mal par son nom et en dénonçant les pratiques avilissantes qui furent dorénavant passées au registre d’un mode normal de gouvernance. A la reprise en main des affaires après le confinement, le traitement des dossiers impliquant des hauts dignitaires a offert au Bureau l’opportunité de marteler clairement sa traditionnelle position de principe : ne pas entrer dans le jeu malsain de la manipulation juridico-politique en dénonçant la propension des uns à politiser les affaires judiciaires, tout en vilipendant l’habitude des autres de judiciariser les joutes politiques. Ainsi se fit-il clairement entendre son aversion à la confusion délibérée des genres et son attachement à un arbitrage judicieux des affaires qui défrayaient la chronique.
A partir de ce moment-là, un mode de traitement de la corruption politique émergente fut alors préconisé eu égard à ses terribles effets anomiques. Au chapitre de la prévention, l’hémorragie générée par cette criminalité en col blanc sera prise en charge moyennant la digitalisation des procédures et des systèmes de fonctionnement défaillants pour l’empêcher d’en tirer allègrement profit. Pour conférer une réelle dissuasion au traitement judiciaire de ce type de criminalité fut prôné un nouvel art de sanctionner basé sur des peines infâmantes assorties de la restitution des biens mal acquis, et ce, outre les peines afflictives somme toute devenues classiques. Une confiance légitime fut placée dans la mise en œuvre de ce procédé du fait d’abord de son réalisme – il s’agit en fait d’une optimisation inédite des ressources existantes du droit pénal qui participe, d’une part, à l’effectivité et à l’application impartiale de ce droit et, d’autre part, au désengorgement des lieux d’incarcération – mais aussi surtout, par l’efficacité garantie par cette approche dissuasive à assigner une existence collective apaisée, gage d’un bien-être harmonieux tant voulu par le bon nombre.
…au sursaut patriotique
La fin de l’année 2020 laissa entrevoir un basculement stratégique – et ce fut là tout son paradoxe – dont il convenait de saisir l’opportunité favorable pour avancer décisivement dans la lutte. En effet, la combinaison de cette double crise, le COVID-19 et la corruption, fut pour le Bureau restructuré une invitation à un sursaut de mobilisation patriotique, dans l’exécution de sa mission.
Dans le cadre d’une sensibilisation éducative, ce sursaut prit la forme d’une stigmatisation publique et d’un rejet généralisé des pratiques corruptives. Tous les canaux de communication, médiatiques et numériques, étaient utilisés pour ancrer dans la psychologie collective cette culture du refus. En matière préventive, moyennant la cartographie des risques, la digitalisation des procédures et la dématérialisation des services sensibles à la vénalité promirent beaucoup pour colmater les opportunités de corruption et afin d’enraciner la transparence dans les systèmes de fonctionnement. Au chapitre des actions répressives, le recours optimal aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, rendant plus performant le mode de renseignement, révolutionna les pratiques d’investigation.
…pour la postérité du pays
C’est dans ce contexte singulier que vers la fin de mois de juillet de cette année fut examiné au siège de l’ONUDC à Vienne le processus d’évaluation de la mise en œuvre par Madagascar des dispositions de la Convention des Nations Unies Contre la Corruption (CNUCC) à laquelle il avait souscrit en 2003. Ayant déjà fait l’objet d’une première évaluation en 2016 par rapport au chapitre III relatif à l’incrimination, la détection et la répression et au chapitre IV concernant la coopération internationale, Madagascar fut cette fois-ci soumis au second cycle d’examen par rapport à son application effective des dispositions du chapitre II relatif à la prévention de la corruption et du chapitre V sur le recouvrement des avoirs.
Ce grand rendez-vous international s’annonçait un peu difficile pour Madagascar qui tardait à parachever son droit anti-corruption, plus de quatre années après sa première réforme. Or, ce nécessaire alignement de son arsenal juridique eu égard aux standards internationaux en vigueur, lequel n’est que la simple traduction de l’engagement solennel devant les tribunes multilatérales, constituait un véritable levier d’action du Bureau à l’échelle nationale.
Plus que les autres pans très importants du droit interne devant normalement motiver davantage d’engouement comme la loi de finances et les différentes lois à vocation économique et financière, les textes régissant l’action anti-corruption constituèrent subitement un véritable enjeu des joutes politiciennes. Aucun sujet ne suscita plus d’appréhension et de consensus politique que la déclaration de patrimoine, le recouvrement des avoirs ou les compétences matérielles des juridictions spécialisées. Les tergiversations étonnent-elles dès lors que ce droit considéré comme menaçant fut minutieusement scruté dans ses moindres facettes de telle manière à ce qu’aucun de ses méandres n’échappe à la maîtrise politique ? Un Etat de droit en quête de crédibilité au sein du concert des Nations ne peut guère s’aménager des niches d’impunité !
La portée de ce rendez-vous international et les enjeux qu’il sous-tend pour l’avenir du pays incitent à saisir la potentialité offerte par ce moment critique pour redorer plus que jamais le blason malgache. Ensemble donc, en synergie avec nos compagnons de lutte, suscitons de cette traversée turbulente de l’année 2020 le sursaut d’honneur que mérite notre belle patrie !